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Numéros

No catalogue 2|084000

L'Assiette au beurre

Date de parution
1902 (1 Mars)

Titre du numéro

Crimes et châtiments

Tome, Volume ou Année
____
Numéro
48

Illustrations liées

Directeur-imprimeur-gérant
Samuel-Sigismond Schwarz

Imprimeur·s
Imp. spéc. de L'Assiette au beurre, 9, rue Sainte-Anne, Paris
Dimensions
24,8 x 32,2 cm
Nombre de pages

48

Tirage

non spécifié (entre 25000 et 40000)

Prix d’un numéro

Numéro spécial 50 centimes

Papier

ordinaire


Commentaire

Aucune correspondance ne subsiste qui documente les conditions dans lesquellesVallotton a réalisé Crimes et châtiments, numéro spécial de L’Assiette au beurre paru le 1er mars 1902 et rassemblant 23 lithographies sur 48 pages. Tout indique que ce numéro a d’abord été conçu comme une édition ordinaire du journal, contenant des dessins reproduits par photogravure sur seize pages, avec éventuellement une double page centrale (sur ce point, voir ici). En faveur de cette hypothèse, relevons l’existence de onze dessins très aboutis (fig. B à L), prêts à être reproduits à l’identique dans la revue, toutefois inédits. Plusieurs d’entre eux présentent en effet des corrections à la gouache blanche, traces qui ne s’expliquent que par un projet d’impression. De surcroît, aucun n’est légendé à la main, ce qui correspond à la pratique usuelle au sein de L’Assiette au beurre, revue dans laquelle toutes les légendes sont typographiées. Ces onze œuvres ne peuvent donc être les dessins préparatoires de lithographies, contrairement à ce qui est avancé concernant huit d’entre elles dans le catalogue raisonné de l’œuvre gravé et lithographié de Vallotton, les seules alors localisées (Vallotton et Goerg, 1972, nos 56.2, 61.2, 62.2, 66.2, 68.2, 70.2, 71.2, 74.2). Enfin, ils ont certainement été colorés après la parution de Crimes et châtiments car les couleurs sont identiques à celles des lithographies publiées, non à celles indiquées par l’artiste sur les épreuves lithographiques d’essai aquarellées de sa main (voir par exemple fig. F et ici). Il convient en effet de préciser que les lithographies sont d’abord tirées en noir, l’adjonction des couleurs étant effectuée ensuite. C’est ce principe qui a prévalu pour les onze dessins mentionnés ci-dessus, tracés uniquement à l’encre de Chine et colorés ultérieurement. On ignore quand et pour quelles raisons le projet initial a été abandonné au profit de l’entreprise bien plus ambitieuse que représente un numéro spécial lithographié. Si le travail de Vallotton a porté sur la réalisation de 23 lithographies, les 1’000 francs qu’il perçoit équivalent à la rémunération de seize dessins pour un numéro ordinaire de L’Assiette au beurre (voir Dixmier et Dixmier, 1974, pp. 278-280 et Lambert, 1975, p. 11). À titre comparatif, on relèvera que le montant versé à Vallotton est identique aux honoraires perçus pour 22 couvertures dessinées du Cri de Paris en 1900, travail de bien moindre ampleur. 1’000 francs représentent certes un cinquième de ses revenus pour l’année 1901, mais il est probable que la rétribution promise ait été plus conséquente puisque Vallotton figure en 1902 au nombre des créanciers de Samuel-Sigismond Schwarz, alors directeur du journal (sur cette question, voir ici).

La technique de reproduction inhabituelle et le format spécial de ce numéro sont signalés dans un avis mentionné en couverture et reproduit en quatrième de couverture (fig. A) : « AVIS / Le présent numéro présente plusieurs innovations, il est lithographié, il n’est imprimé qu’au recto et son format dépasse le format ordinaire de l’Assiette au Beurre. / Nous avons eu recours à la lithographie, parce que la manière de l’artiste consciencieux qu’est Vallotton, s’y prête merveilleusement. / Pour relier ce numéro, il suffira de détacher chaque feuille en suivant le pointillé et de la coller sur onglet. / Une fois de plus, l’Assiette au Beurre espère avoir prouvé qu’en dehors des sacrifices qu’elle s’impose dans le choix de l’artiste, toujours de premier ordre, elle n’hésite pas devant les moyens les plus coûteux et les plus difficiles, afin de répondre à l’attente des connaisseurs, sans cesse tenus en éveil tant par l’imprévu du papier que par le procédé d’impression, dont l’homogénéité affirma si vite un succès sans précédent. / L’ASSIETTE AU BEURRE. »

Les 48 pages de ce « Numéro Spécial », ainsi qu’il est désigné sur la couverture, dépassent de 32 pages le format courant de seize pages, d’où le prix de 50 centimes au lieu des 30 que coûte un numéro standard. Lithographié – une première dans le périodique, dont seul un autre numéro, réalisé par Démétrios Galanis en 1909, est répertorié (Dixmier et Dixmier, 1974, p. 40) –, il est imprimé sur un papier différent du papier habituel et au recto de la feuille uniquement. Les lithographies, sont détachables, à découper suivant les pointillés. Le format de la feuille imprimée et le mode de reliure se distinguent également : il s’agit de feuilles simples reliées sur le côté par trois agrafes en lieu et place de feuilles doubles et d’un agrafage central. La décision qui a conduit à n’imprimer que le recto des feuilles est probablement intervenue dans un deuxième temps. Imposée par le procédé lithographique, elle excluait du même coup les sujets horizontaux prévus à l’origine pour des doubles pages, et dont subsistent les dessins préparatoires et les épreuves d’essai lithographiées (voir [Salue d'abord, c'est l'auto de la Préfecture] et [Au secours ! On me vole une côtelette !]).

Les différentes œuvres préparatoires conservées des 23 lithographies permettent de retracer le processus d’élaboration de l’ensemble, à commencer par les 23 dessins. Exécutés à l’encre de Chine, sans adjonction de couleurs, ils sont tous légendés, mais cinq seulement sont monogrammés. Ils ont servi de modèle au dessin réalisé sur la pierre lithographique. Le procédé de report sur la pierre n’est pas documenté, mais il implique sans doute le recours à un papier report qui permette d’effectuer le tracé à l’endroit, tel qu’il sera restitué à l’impression, et de multiplier les pierres pour accélérer le tirage. La technique utilisée, la lithographie, est en revanche attestée tant par le Livre de raison et le Livre de comptes de l’artiste que par l’avis publié en quatrième de couverture du numéro (fig. A). En ce qui concerne le dessin en noir, celle-ci a été mise en œuvre par Vallotton sans l’intervention d’un tiers. Quant aux couleurs, qui nécessitent chacune un passage sur une pierre spécifique, elles ont été posées par un exécutant d’après les indications précises de l’artiste. Des variations de couleurs au sein d’un même sujet s’observent néanmoins d’un exemplaire à l’autre du numéro.

Des épreuves d’essai, tirées en noir uniquement, sont conservées pour les 23 sujets (Lausanne, Fondation Félix Vallotton), tout comme une série d’épreuves d’essai particulièrement remarquables, car rehaussées à l’aquarelle et annotées par l’artiste. La qualité de ces tirages est bien supérieure à celle des lithographies définitives parues dans L’Assiette au beurre, comme le relève Caroline Guignard : « Ces épreuves constituent paradoxalement l’état le plus riche de cette série. En effet, le papier de maculature utilisé, plus fin que celui de l’édition définitive, présente un rendu des noirs dense et profond que le papier épais utilisé pour la publication de [ce numéro de] L’Assiette au beurre ne permet pas, l’encre y restant plus superficielle et prenant une coloration aux accents bruns. L’observation attentive du tracé des deux états infirme la proposition de Vallotton et Goerg selon laquelle Vallotton aurait produit une première pierre pour les épreuves d’essai, avant de reporter le motif sur une seconde pierre pour le tirage final. Il apparaît donc que l’inégalité manifeste de résultats provient de la différence de densité de l’encre sur des papiers plus ou moins absorbants, et non de la qualité de la pierre lithographique employée par l’artiste. » (Caroline Guignard, « Crimes et châtiments, 1901 », in : Félix Vallotton, 2010, p. 107).

Ces tirages d’essai dévoilent les intentions de l’artiste quant aux couleurs grâce à l’aquarellage et aux annotations manuscrites, dont certaines spécifient quelle couleur peut être supprimée ou doit être posée en aplat (voir par exemple ici). La pratique est similaire à celle relative aux dessins reproduits par clichage dans le même journal : des épreuves en étaient tirées qui étaient ensuite soumises aux artistes pour le choix des couleurs (voir Lambert, 1975, p. 12 et voir ici pour les dessins de Vallotton reproduits en couleur dans d’autres périodiques). Très répandu dans les tirages d’essai aquarellés, le bleu est globalement remplacé par du vert dans la publication. On trouve néanmoins bien du bleu et non du vert dans certains exemplaires du numéro (voir par exemple ici). Les couleurs se limitent à deux par feuille : le rouge est présent partout (sauf ici), accompagné soit de jaune, soit de vert, exceptionnellement de bleu pour le drapeau français (ici). Les teintes sont posées en aplat ou alors estompées. Enfin, tout ce qui est absent de ces épreuves d’essai n’est pas lithographié, mais reproduit dans le journal par procédé photomécanique : titre du périodique et autres indications typographiées sur la couverture, avis en quatrième de couverture (fig. A), légendes, numéros de pages et pointillés.

La teneur des œuvres de Vallotton est en totale adéquation avec les thèmes chers au journal (sur ce point voir ici). L’abus de pouvoir arbitraire ainsi que les brutalités des représentants de l’ordre sécuritaire y sont violemment dénoncés au travers des agissements et des déclarations, lesquelles sont énoncées dans des légendes, de divers individus investis d’autorité. La sévérité du châtiment infligé est sans commune mesure avec la gravité du crime commis, si crime il y a. Patron, propriétaire terrien, banquier, mari, curé, juge, militaire, instituteur, nanti sont cloués au pilori, sans oublier l’agent de police, fustigé dans neuf sujets. Autant de puissants que Vallotton a dû se régaler à égratigner, lui qui, se souvient Thadée Natanson, « Même quand il put s’envelopper d’une robe de chambre douillette et les pantoufles au feu, […] a toujours conservé la façon de voir de ceux qui ne regardent la propriété que de derrière ses grilles et jamais renoncé [à] sa haine native des chiens et des sergents de ville. » (« Le Très Singulier Vallotton », in : Natanson, 1948, p. 308). La dénonciation des pratiques de la police sera d’ailleurs le sujet du numéro collectif de L’Assiette au beurre du 23 mai 1903 intitulé La Police, puis du numéro du 13 février 1904 réalisé par Jossot sous le titre Circulez !

S’agissant de la réception de ce numéro spécial, les témoignages divergent. Charles Fegdal évoque un « […] numéro dont le succès est considérable » (Fegdal, 1931, p. 28). Mais un autre son de cloche ressort d’une lettre de Hermann-Paul à Vallotton datée du 12 février 1906 (voir ici), qui nous apprend que ce numéro n’a « […] pas eu de succès auprès du public […] » (Documents, vol. II, lettre 189, p. 103). Il faut dire que la qualité d’impression de Crimes et châtiments est très inférieure à celle d’un numéro ordinaire de L’Assiette au beurre, notamment en raison du fort épaississement du trait dû à un papier rêche et poreux. Ce résultat n’est pas à la hauteur des ambitions affichées par le journal et ne rend pas justice au soin apporté par Vallotton à la réalisation de cette suite au contenu subversif.

Saisi par
Katia Poletti

Images de comparaison

A. «Avis», L'Assiette au beurre, no 48, 1er mars 1902, quatrième de couverture

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton (photographie : Etienne Malapert, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne)

Droits : Réservés

B. Félix Vallotton, dessin définitif mais inédit conçu pour un numéro standard de L'Assiette au beurre, 1901, encre de Chine, crayon de couleur et rehauts de gouache blanche sur papier, 36,4 x 25,8 cm, Kunsthalle Bremen

Crédit photographique : © Kunsthalle Bremen

Droits : Réservés

C. Félix Vallotton, dessin définitif mais inédit conçu pour un numéro standard de L'Assiette au beurre, 1901, encre de Chine, crayon noir et aquarelle sur papier, 34,9 x 25 cm, localisation actuelle inconnue

Crédit photographique : © Christie's

Droits : Réservés

D. Félix Vallotton, dessin définitif mais inédit conçu pour un numéro standard de L'Assiette au beurre, 1901, encre de Chine, fusain, aquarelle et rehauts de gouache blanche sur papier, 37 x 25 cm, collection particulière

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton (photographie : Jean Testard)

Droits : Réservés

E. Félix Vallotton, dessin définitif mais inédit conçu pour un numéro standard de L'Assiette au beurre, 1901, encre de Chine, crayon noir et aquarelle sur papier, 37,2 x 28,5 cm, collection particulière

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton (photographie : Jean Testard)

Droits : Réservés

F. Félix Vallotton, dessin définitif mais inédit conçu pour un numéro standard de L'Assiette au beurre, 1901, encre de Chine, fusain et aquarelle sur papier, 29,3 x 24,8 cm, localisation actuelle inconnue

Crédit photographique : © Christie's

Droits : Réservés

G. Félix Vallotton, dessin définitif mais inédit conçu pour un numéro standard de L'Assiette au beurre, 1901, encre de Chine, crayon de couleur et rehauts de gouache blanche sur papier, 33,2 x 23,4 cm, collection particulière

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton (photographie : Jean Testard)

Droits : Réservés

H. Félix Vallotton, dessin définitif mais inédit conçu pour un numéro standard de L'Assiette au beurre, 1901, encre de Chine, crayon noir et aquarelle sur papier, 31,5 x 30 cm, collection particulière

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton (photographie : Jean Testard)

Droits : Réservés

I. Félix Vallotton, dessin définitif mais inédit conçu pour un numéro standard de L'Assiette au beurre, 1901, encre de Chine, crayon de couleur sur papier, 38,5 x 31,6 cm, collection particulière

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton (photographie : Jean Testard)

Droits : Réservés

J. Félix Vallotton, dessin définitif mais inédit conçu pour un numéro standard de L'Assiette au beurre, 1901, encre de Chine, fusain et crayon de couleur sur papier, 33 x 27 cm, collection particulière

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton (photographie : Jean Testard)

Droits : Réservés

K. Félix Vallotton, dessin définitif mais inédit conçu pour un numéro standard de L'Assiette au beurre, 1901, encre de Chine, fusain, crayon de couleur et rehauts de gouache blanche sur papier, 35,5 x 28 cm, collection particulière

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton (photographie : Jean Testard)

Droits : Réservés

L. Félix Vallotton, dessin définitif mais inédit conçu pour un numéro standard de L'Assiette au beurre, 1901, encre de Chine, crayon noir, aquarelle et rehauts de gouache blanche sur papier, 31,2 x 24 cm, collection particulière

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton (photographie : Jean Testard)

Droits : Réservés


Livre de raison

1901LRZ

Entre LRZ 471 et LRZ 472: «Un numéro de l'assiette au beurre / 23 lithos. Crime et Châtiment»

Livre de comptes

1901

«Numéro de l'assiette au beurre (23 litho. Crimes et Châtiments 1000»

Honoraires
1000 Francs

Bibliographie

Fegdal, 1931, p. 28

Godefroy, 1932, no 55

Vallotton et Goerg, 1972, pp. 62–94

Dixmier et Dixmier, 1974, pp. 40–41

Lambert, 1975

St-James, 1979, [pp. 6, 8, 9]

Caroline Guignard, «Crimes et Châtiments, 1901», in Félix Vallotton, 2010, pp. 106–107

Robbins, 2014


Liens

Le numéro est consultable sur Gallica.


Localisation du document décrit
Lausanne, Fondation Félix Vallotton

Notes
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